L’été a envahi la ville. C’est une provocation en ce début d’avril où il nous est imposé de rester entre quatre murs. Le soleil est le serpent du paradis d’Adam et Ève. Une tentation à laquelle il est difficile de résister. Lassitude de la population ou relâchement des citoyens les plus respectueux… en tous les cas la rue semble de plus en plus animée. Il n’y a jamais eu autant de joggers et de cyclistes qu’aujourd’hui. On a l’impression d’être un jour de pont du mois de mai : ça sent les vacances – le soir qui tombe toujours plus tard, les parfums lointains de barbecue, les chips qui croquent sous la dent et le verre de rosée – mais sans être la solitude absolue du mois d’août déserté. On devine que les gens sont là, en famille, chez eux, tout près.
Le rassemblement de 19h45 des voisins de notre rue est plus que jamais le rendez-vous attendu de la journée. Mais imperceptiblement, chaque soir, on franchit un peu plus les limites. Un soir, on quitte la fenêtre pour le pas de la porte. Le lendemain, on traverse la rue pour parler au voisin d’en face qu’on apercevait seulement de loin les premiers jours. Et puis voilà que le jour d’après on sort une bouteille et on remplit des verres. Les filles sont aux anges. Elles courent sur le trottoir, montrent aux petits voisins du 73 leurs réalisations du jour, se lancent des gages avec leurs cocottes en papier. Il y a désormais d’autres chansons après les applaudissements de 20 heures. Les deux côtés du trottoir se transforment en discothèque. La voisine du 82 trouve chaque jour des tubes exhumés de sa jeunesse. « Tes états d’âme Éric sont des États d’Amérique »… et « comme une boule de flipper, qui roule », « je te donne, tout ce que je vaux, ce que je suis », car « résiste, prouve que tu existes ».
Je suis en jogging et en chaussons. Du coup, je ne quitte pas le pas de la porte. C’est tentant pourtant, si tentant de franchir les limites – les « gestes barrière », voilà l’expression inventée pour dire les murs que le Virus a fait construire autour de nous. O., lui, est sorti parler aux voisins regroupés deux maisons plus loin. J’ai envie de sortir moi aussi et en même temps de lui dire « arrête, ce n’est pas raisonnable ». Comme si parler à ses voisins et partager un verre de Chardonnay pouvaient être une atteinte à la raison.
J’ai peur de l’après. Un jour, on nous dira : « c’est le déconfinement » – encore un mot inventé par le Virus. Tout le monde voudra faire ce dont il aura été privé si longtemps – sortir, se réunir, partager. Mais tout cela ne va pas finir du jour au lendemain. Le Virus va continuer d’exister encore plusieurs mois. Et je pense à tous ceux qui tomberont malades alors que le monde aura été déconfiné. Comme punis d’avoir été insouciant et d’avoir cru pouvoir revivre. Punis d’avoir baissé la garde.
Tiens ! ?
Qui revoilà…
content de te retrouver…