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Coup de baguette magique

Eva

Journée un peu tristounette. Journée au ciel gris. Dans l’après-midi, la pluie tombe. C’est la première fois qu’il pleut depuis que nous sommes confinés. Côté jardin, des flaques d’eau s’amoncellent sur le toit en plastique de la cabane fabriquée par O. et les enfants. Côté rue, les gens marchent vite, emmitouflés dans des anoraks ou la tête baissée sous des parapluies. C’est un temps sans saison : ça pourrait ressembler à l’automne ou à l’hiver, ou encore à un printemps qui aurait raté son entrée en scène.

C’est le premier jour des vacances scolaires. Vendredi, les maîtresses ont envoyé des mails pour annoncer solennellement que les enfants étaient en vacances pour deux semaines et que les cours de la fameuse « continuité pédagogique » étaient suspendus. Du coup, ce matin, je suis un peu perdue. Les habitudes forgées depuis trois semaines n’ont plus lieu d’être. Pas de mail des maîtresses. Je me sens un peu seule –abandonnée. Il y avait un cadre, contraignant mais rassurant. Mais il n’est plus là pour nous guider.

Qu’importe, mère intangible, je suis décidée à continuer un semblant de classe. OK, on abandonne les dictées, les exercices de grammaire et tout ces devoirs ennuyeux. Mais on note quand même la date au tableau. Avec A. j’improvise une séance d’orthophonie, vu que son orthophoniste ne fait plus cours depuis le début du confinement. Pour J., j’ai imprimé des activités autour d’Harry Potter, le petit héros qui l’obsède depuis quelques mois. Les filles râlent un peu, mais pas tant que ça. Elles ont autant besoin d’un cadre que moi.

L’après-midi s’étire. J’ai un travail urgent à finir, mais je n’arrive pas à me concentrer. Je suis sans cesse dérangée. A. saute sur le canapé, me demande où mettre sa pièce du puzzle, m’appelle pour voir son dessin. J. est plus calme, partie à Poudlard avec Harry. Mais voilà les sœurs qui se disputent. Je hausse la voix. Je dis que je n’arriverai jamais à finir ce travail, que ça me prend deux fois plus de temps parce que je suis sans cesse interrompue, que ce n’est pas possible, que j’en peux plus. Je m’en veux de m’énerver. Et je crie quand même.

Je crois que c’est la première fois que je formule dans ma tête la pensée que j’en ai marre de tout cela. C’était peut-être amusant au début – jouer à être enfermée, changer sa vie, inventer son présent. Mais là, ça suffit. Le jeu a assez duré. J’aimerais passer à autre chose.

Sauf que ce n’est pas une blague. C’est la vraie vie. Je ne peux pas claquer la porte et dire « ça suffit ! ». Pas de porte de sortie dans ce huis-clos.

19 h, la sonnerie de Skype retentit. J’avais complètement oublié que je m’étais inscrite à un cours de yoga ce soir ! La maison est en désordre, on est sur le point de passer à table. Tant pis, je ne peux pas raccrocher au nez de la prof. Je descends au sous-sol avec mon tapis de yoga. J’ai un peu de mal à me concentrer au début. Je sens le froid du carrelage qui semble passer à travers le tapis. Quelle drôle de situation de se tenir en équilibre sur un pied, coincée entre le canapé et la porte, les yeux rivés sur un petit écran ! La prof parle d’une voix calme et apaisante. « Inspirez, expirez… Accueillez les émotions ! » Je respire, j’accueille, je ferme les yeux. J’arrive petit à petit à m’extraire du décor inhabituel. En baillant je tends mes jambes, mes bras. Mon corps se détend.

Il fallait cette journée pluvieuse et mélancolique pour apprécier ce moment suspendu, hors du temps. Comme par un coup de baguette magique.



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