Nuit terrible, à tenir la main d’une petite fille assise sur la cuvette des toilettes. Hier soir, les symptômes qui tiennent A. depuis une dizaine de jours sont revenus avec violence. Elle est notamment prise de diarrhées. Bien sûr, je n’ai pas pu m’empêcher de taper dans Google « diarrhées » et « Covid-19 » et j’ai lu que c’était un symptôme possible du Virus, en particulier pour les plus jeunes.
O. est inquiet. Pour la première fois depuis le début du confinement il quitte vraiment son sous-sol et met entre parenthèse son boulot pour être aux côtés de sa fille. La journée commence un peu à l’envers. On reste en pyjama, on oublie l’école, le travail. J’ouvre mon ordinateur non pas pour regarder mes messages mais pour me connecter au service de médecine en ligne. J’ai fait une liste au crayon de tout l’historique des symptômes. Je m’évertue à avoir une précision chirurgicale : un vrai compte rendu de médecin d’hôpital. Une heure plus tard, un médecin répond. C’est une femme, elle a figuré un petit smiley et elle écrit : « 🤒 cette situation clinique est compatible avec celle d'une infection par le COVID-19. » On garde notre calme – non, on fait semblant de garder notre calme – mais on a peur.
J. est inquiète, elle aussi. A. est allongée sur le canapé, recroquevillée sur sa douleur au ventre. Devant elle une petite chaise avec un verre d’eau et un doudou. J. y a glissé un dessin sur lequel elle a marqué « Pour A. ». Un peu plus tard, je surprends J. assise par terre avec la trousse de couture que je lui avais offerte pour ses 8 ans. Elle est en train de coudre un doudou pour sa sœur, s’inspirant d’une histoire que nous avions lue ensemble. Si j’avais le temps de m’émouvoir, je crois que je verserais une larme.
On finit par sortir les livres d’école et les devoirs à faire. Aujourd’hui, c’est révision des synonymes. Il y a une phrase avec le mot « peur » et il faut chercher un synonyme. J. ne trouve pas. Je vais chercher mon dictionnaire des synonymes – le petit Robert dont je me servais lorsque j’étais étudiante et que je n’ai pas ouvert depuis des années. J. est épatée de voir qu’un tel livre existe. Elle tourne les pages jusqu’à Peur, et on lit ensemble :
I. Affolement, affres, alarme, alerte, angoisse, appréhension, aversion, couardise, crainte, effroi, épouvante, frayeur, frisson, frousse, hantise, inquiétude, lâcheté, malepeur (vx), panique, phobie, pusillanimité, répulsion, saisissement, souleur (vx), terreur, trac, trouble. II. Agora/claustro, éreutho/hydro/photo/zoophobie. III. Arg. ou fam. : cagade, chiasse, chocottes, flubes, foies, foirade, foire, grelots, grelotte, jetons, moules, pétasse, pétoche, pétrouille, tracsir, traquette, trouille, venette, vesse. IV. Loc. 1. Avoir peur à craindre, trembler. 2. Faire peur : apeurer, effaroucher, effrayer, épeurer, épouvanter, intimider, menacer.
On a lu un à un chaque mot et on reste un moment sans parler. « Imaginais-tu qu’il y avait autant de mots en français pour dire la peur ? » On retourne à l’exercice. Il y a maintenant une phrase avec le mot « ami », pour lequel il faut trouver un synonyme. On tourne les pages du dictionnaire. À la rubrique « Ami », il y a trois fois moins de mots.
Mais quelle est donc cette société dans laquelle on nomme davantage la peur que l’amitié ? Est-ce parce que l’amitié se vit d’abord et n’a pas forcément besoin de se dire pour exister ? Alors que la peur est ce qui a le plus besoin de se dire… pour ne plus exister ?
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