Nous sommes entrés dans l’ère surréaliste. Je n’arrive toujours pas à croire que ce que le monde vit est vrai. La vie arrêtée, les rues désertées, les gens enfermés dans leur maison, pâles ombres aux fenêtres qui regardent la ville silencieuse et immobile. Si notre vie actuelle avait été un film, je n’y aurais pas cru. J’aurais dit en haussant les épaules : « c’est un mauvais scénario de science-fiction ».
Et pourtant nous en sommes là : les avions qui restent au sol, les pays qui abaissent leurs frontières, l’économie qui s’essouffle. Et puis les devantures des restaurants qui ne sont plus que de lourds rideaux de fer et les vagues passants que l’on aperçoit de loin par la fenêtre, le visage caché sous un masque blanc et le regard inquiet. Le monde s’est arrêté d’être notre monde. Il n’est plus qu’un récit inventé que l’on écoute, incrédule, nous demandant chaque matin quelle péripétie va de nouveau renverser le scénario.
Ma maison est mon cocon et ma prison tout à la fois. Elle me protège. Ses murs sont les bras d’une mère. Entre sa chaleur je ne crains plus rien. Et pourtant parfois l’air me manque. Mon corps devient mou, flasque. Je ne me sens pas tout à fait vivante.
S’il n’y avait pas ce mal de tête persistant dû à toutes ces nuits sans sommeil et cette sensation étourdissante de courir perpétuellement contre le temps, ces jours seraient pourtant légers. Je les attrape à bout de bras tous ces jolis moments : le rire en cascade d’A. qui s’amuse à glisser contre le canapé, les inventions de J. toujours un fil ou un ciseau à la main, les ronronnements soyeux de Mina sur le canapé. J’aime jouer les maîtresses, voir le regard de J. qui s’illumine lorsqu’elle comprend enfin son problème de maths ou entendre A. chanter la comptine d’Haskawawa.
Est-ce un cadeau qu’un être invisible nous fait là pour nous montrer que tous nous pouvons vivre autrement ?
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