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38°9

Eva

Hier soir, A., qui avait été pourtant en forme toute la journée (dansant au son de comptines et faisant le poirier sur le canapé), était toute raplapla. Verdict du thermomètre : 38°9. J’ai frissonné, comme si c’était moi qui étais soudain prise d’un accès de fièvre. Il me semble que pour la première fois j’ai vraiment pensé qu’il était tout à fait possible – voire probable – que le Virus entre chez nous, entre nos quatre murs. Je me suis couchée le cœur lourd, avec une pesante envie de pleurer – mais incapable de verser la moindre larme.


Au matin, une petite fille est venue me rejoindre dans le lit. Elle était brûlante de fièvre. Très vite A. s’est rendormie. Je n’osais pas regarder l’heure, mais je sentais le moment du lever approcher, entendant les bruits d’O. dans la cuisine. Pendant de longues minutes, je n’ai pas eu envie de me lever. Je voulais retarder ad libitum le moment d’affronter tout cela. De petits pas se sont faits entendre derrière la porte et le visage de J., dépitée, est apparu : « il n’y a personne ! » J’ai tiré mon corps hors du lit et j’ai serré le petit corps nerveux contre moi. « Elle est encore malade A. ? » a lancé J., jalouse de voir que sa sœur avait passé une partie de la nuit avec moi.


Et puis la journée a commencé. Impossible d’appuyer sur le mode « pause ». J’ai fait les gestes des matins d’enfant malade – la main sur le front, la petite sonnerie du thermomètre, la seringue du Doliprane et le coin de la lèvre tout collant de sirop rouge essuyé d’un coup de mouchoir en papier. O. avait son regard inquiet de papa paniqué. « Il faut faire quelque chose », répétait-il. Oui, mais quoi ? Appeler le docteur ? Mais est-ce suffisamment grave pour qu’on dérange des services hospitaliers surchargés ? Dilemme du parent inquiet : trop en faire ou pas assez ? Quel est le bon choix ? Sans prendre de petit déjeuner, j’ai ouvert l’ordinateur et me suis enfin inscrite à ce service de médecine à distance auquel me donne droit ma mutuelle. Je ne sais pas ce que cela vaut : 24 h sur 24, 7 jours sur 7… cela m’a rassurée.

Puis la journée a commencé. Toujours impossible d’appuyer sur « pause ». Je n’étais pas bien concentrée pendant les devoirs de J. A. s’est assise sur le canapé et, le paracétamol faisant visiblement son effet, elle est venue nous rejoindre pour colorier.


La journée s’est écoulée avec une incommensurable lenteur, ponctuée par les bip-bip du thermomètre – 36°7, 36°9, 36°8… – et la main comme immanquablement attirée par le front de la petite malade. J’ai scrollé sur Doctissimo pour regarder pour la énième fois les symptômes du Virus (oui, la diarrhée peut être un des signes de la maladie) et compté les jours sur mes doigts (7 jours depuis la dernière sortie à l’extérieur, 5 jours depuis le dernier contact avec les voisins).


Le cœur n’y était pas. Mais j’avais promis aux filles qu’on fabriquerait des fleurs à la Takashi Murakami. Alors on a sorti le compas, la règle, la boîte de feutres. Elles ont dessiné, coupé, collé. De petites fleurs multicolores se sont mises à fleurir sur la nappe de la salle à manger. Comme d’habitude J. s’est enthousiasmée et s’est lancée à corps perdu dans ce nouveau défi artistique. Comme d’habitude A. s’est rapidement lassée, me demandant de finir son coloriage. Par la fenêtre, on apercevait un grand ciel bleu. Et sur ma table il y avait toutes ces fleurs criardes aux sourires rigolards. Je me suis demandé ce qu’elles cherchaient à me dire, toutes ces fleurs psychédéliques : « jusqu’ici, tout va bien » ? ou bien « vaut mieux en rire qu’en pleurer » ? Je ne sais pas.


Mardi 24 mars, pour la première fois, j’ai vraiment eu peur pour moi et pour ma fille. Pas une peur vague et incertaine, comme la frayeur des premiers jours. Mais une peur concrète, qui brûlait sous ma main. Je crois qu’il va falloir apprendre à vivre avec elle et s’en faire une amie.


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